, mienne : j'ai goûté ici mille plaisirs que tu ne connais pas ; mon imagination a travaillé sans cesse à m'en faire connaître le prix ; j'ai vécu

, Ce qu'une troisième femme, Zélis, déplore à propos de son esclave Zélide bientôt mariée à un eunuque impuissant, vaut sans doute pour elle-même, « instrument animé » (LP, 62) voué à la félicité d'un maître insuffisamment puissant : « Eh quoi ! être toujours dans les images et les fantômes ! ne vivre que pour imaginer ! se trouver auprès des plaisirs et jamais dans les plaisirs ! languissante dans les bras d'un malheureux, au lieu de répondre à ses soupirs, ne répondre qu'à ses regrets ! ». Ainsi que le suggèrent plusieurs lettres, la mémoire et l'imagination peuvent décupler les maux associés aux passions comme elles peuvent en démultiplier les plaisirs 24 . C'est la raison pour laquelle les femmes subissent en définitive toutes les pathologies associées à l'absence du bien qu'elles désirent : langueur, tristesse, et désespoir, mais aussi haine transformée, à l'égard du maître comme à l'égard des eunuques qui font obstacle à leurs plaisirs, en désir de vengeance et en joie cruelle de persécution. Le bilan du système éprouvé dans le laboratoire du sérail est donc rigoureusement dramatique : ce n'est pas l'empire des passions qui dénature l'homme, mais l'empire de la Loi lorsque celle-ci, orientée vers la jouissance d'un seul, s'oppose avec violence aux inclinations de tou(te)s les autres. Par l'une des ironies coutumières à l'ouvrage, Usbek en philosophe dira lui-même à propos de l'interdiction du vin, que la loi, faite « pour nous rendre plus juste [?] ne sert souvent qu'à nous rendre plus coupable », qu'il faut « traiter l'homme comme sensible au lieu de le traiter comme raisonnable » et que « l'âme, unie avec le corps, en est sans cesse tyrannisée » 25 . Le despote-philosophe devrait le savoir : l'économie libidinale mise en oeuvre dans le sérail est perverse et corrompue : à travers les passions frustrées, à travers l'omniprésence de la mutilation, la nécessité constante de la punition et l'imminence de la mort, c'est la vie qui se nie elle-même par son impuissance à produire et à se reproduire 26, Mais tout en décrivant les songes, les enchantements, et les fantômes créés par ses désirs frustrés, Fatmé dit aussi son impuissance à combler par l'imagination le besoin de plaisir. Elle confesse à Usbek la famine et la dépendance sur lesquelles le langage, la volonté ni la raison n'ont prise : « il est impossible de vivre dans cet état ; le feu coule dans mes veines

V. Spinoza, . Ethique, . Iii, I. Xviii, and .. B. Pautrat, , pp.233-235, 1988.

L. P. Voir, 3 de Zachi à Usbek, qui relate la douleur de la passion irritée par l'absence : elle erre « dans ces lieux qui, me rappelant sans cesse mes plaisirs passés, irritaient tous les jours mes désirs d'une nouvelle violence

. Lp, J. Le-dit-justement, . Goldzink, and P. U. Paris, Sur le procédé à l'oeuvre dans les Lettres persanes, voir J.-P. Courtois, « Comment Roxane devient philosophe. Romanesque de l'illisible et sexuation des concepts dans les Lettres persanes, La Lecture littéraire, vol.3, pp.27-47, 1999.

A. Voir and . Grosrichard, Structure du sérail, La fiction du despotisme asiatique dans l'Occident classique, p.56, 1979.