Manières de critiquer : les fictions allégoriques
Abstract
Manières de critiquer : les fictions allégoriques Comment exposer l'actualité littéraire sous l'Ancien Régime ? Le vocabulaire critique, objet de redéfinitions successives, de « glissements » ou de superpositions notionnels, est sans conteste le premier observatoire de ces pratiques où repérer attentivement les changements de paradigme, parfois derrière l'apparente inertie du stock lexical 1. Mais les « manières de critiquer », selon les formes qu'elles adoptent, n'en sont pas moins révélatrices. Un écueil nous guette ici, peut-être. Cherchant à analyser les jugements portés sur les oeuvres et les auteurs, à comprendre le contenu et la portée des débats du temps, nous négligeons parfois de nous arrêter sur la nature même des textes qui les publient. Traités alors comme documents pour servir à une histoire de la critique littéraire-ce qu'ils sont aussi, au demeurant-ils perdent au passage une partie de leur signification : celle-là même que portaient, précisément, les choix opérés par leurs modalités d'exposition. Il nous manque ainsi, à l'heure actuelle, une étude de synthèse qui en dresserait l'exacte cartographie : à côté des formes savantes des Bibliothèques récapitulatives (des entreprises humanistes comme celle de Du Verdier et La Croix du Maine jusqu'à celle de l'abbé Goujet au milieu du XVIII e siècle, dont le sous-titre d'Histoire de la littérature française dit assez l'ambition), des prosopographies, des périodiques tels le Journal des savants, des traités critiques comme le Jugement des savants de Baillet, pour la fin du XVII e siècle, de nombreuses autres voies sont encore empruntées, qui sollicitent un public plus ouvert. Celles de la gazette en vers (Loret), du périodique mondain comme Le Mercure galant disent l'actualité au fil de leurs parutions. D'autres la rejouent dans les formes mêmes du texte mis en cause : c'est le cas notamment d'un certain nombre de querelles dramatiques, au premier rang desquelles on citera pour mémoire celle, inaugurale, de L'école des femmes, dont le récent ouvrage de P. Dandrey (2014) a examiné de près les successives mises en abyme 2. Ailleurs, le débat littéraire s'incarne dans la fiction d'échanges mondains : les critiques captent par cette voie le même lectorat que celui de l'oeuvre en question, dont la modernité novatrice ne leur échappe pas, faisant ainsi événement. C'est le cas, exemplaire, de La princesse de Clèves analysée par Valincour dans ses Lettres à Madame la marquise…, puis par le truchement de Conversations (l'abbé de Charnes), critique de la critique valant pour apologie de cette « nouvelle galante » à la formule en effet inédite (voir Laugaa, 1971). Le répertoire et l'examen comme telles de ces diverses manières de commenter l'actualité littéraire ou d'en faire l'inventaire rétrospectif est encore à conduire. La présente étude se propose de revenir sur la forme paradoxale d'un dispositif dont l'inactualité délibérée (le choix d'un cadre soustrait aux paramètres du temps présent) soutient semblable projet : celui des fictions allégoriques, dont M. Fumaroli a 1 Voir dans ce même volume l'article de M.-M. Fragonard, ###. Bon nombre de ces mots nous sont d'ailleurs si bien devenus des « intraduisibles » que nous ne les utilisons plus qu'appareillés de guillemets ou d'italiques, signes typographiques de notre méfiance à leur égard, en dépit de leur apparente familiarité : « naturel », « esprit », « raison », comme tant d'autres, sont autant de chausse-trapes bien plus périlleux en définitive que les termes peu à peu sortis d'usage. 2 Dès les années 1630, un certain nombre de comédies avaient fait des conflits littéraires le sujet même de leur intrigue, mettant en scène des auteurs aux prises avec leurs rivaux : ainsi de La comédie des comédies, traduite d'italien en langage de L'orateur français de Du Peschier (1629), de la Comédie de Gaillard (1634) et de La comédie des académistes de Saint-Évremond (1638).
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