Critical genealogies of gender and literary engagement: the feminist moment of 1969-1985
Généalogies critiques du genre et de l’engagement : penser le moment féministe des années 1969-1985
Résumé
The history of literary engagement in the French and Québécois contexts mostly avoids the moment known as the second feminist wave. Yet the feminist writers of 1969-1985, in their own time, before the era of ultra-contemporary literature, took up and transformed traditions of engagement, while at the same time founding new epistemologies of literary and political action. They reshaped the meaning of engaged literature, making it dependent, for example, on the upheaval in the relationship between “situation” and enunciation, laying down some of the first milestones in epistemologies of standpoint; they also reoriented the transitivity and communicability dimensions of committed literature of Sartrean heritage, drawing their writing into a regime of language revolution that claims to act directly on women's lives, to give them back agency and subjective power in the world, and to be avant-garde, even “unreadable”. Their ellipsis from the histories of engagement thus appears striking; this article hypothesizes that it is significant that, at the very point where French-speaking theories of engagement stumble, dodging the specificities of the literary history of the decades 1970-1980, other theories – theories of gender, mostly English-speaking – gather momentum and take a close interest in the engaged corpora of feminist writers. In this crossfire, the 1969-1985 moment is thus constructed as the moment of a phylogenetic branching: it forms a structuring but unnoticed node in the histories that we trace, in the aftermath and up to the present day, of these different critical traditions.
L’histoire de l’engagement littéraire, en contextes français et québécois, a été écrite, jusqu’à nos jours, de telle manière qu’elle esquive la plupart du temps le moment dit de la deuxième vague féministe. Les écrivaines féministes des années 1969-1985 ont pourtant, à leur époque, avant l’ère de la littérature ultra-contemporaine, repris et transformé les traditions de l’engagement, en même temps que fondé de nouvelles épistémologies de l’agir littéraire et politique. Elles ont remanié le sens de ce qu’on entend par littérature engagée en le faisant dépendre, par exemple, d’un bouleversement des rapports entre “situation” et énonciation, posant les premiers jalons des épistémologies du point de vue ; elles ont également réorienté les dimensions de transitivité et de communicabilité de la littérature engagée d’héritage sartrien, entraînant leur propre écriture dans un régime de révolution du langage tel qu’il prétend à la fois agir directement sur la vie des femmes, leur redonner de l’agentivité et du pouvoir subjectif dans le monde, et s’énoncer avant-gardiste, voire “illisible”. Leur ellipse des histoires de l’engagement apparaît donc frappante ; cet article formule l’hypothèse selon laquelle il est significatif qu’à l’endroit même où buttent les théories francophones de l’engagement, esquivant les spécificités de l’histoire littéraire des décennies 1970-1980, d’autres théories – théories du genre, majoritairement anglophones – prennent leur élan et s’intéressent quant à elles de très près aux corpus engagés des écrivaines féministes. Le moment des années 1969-1985 est ainsi construit, dans ces feux croisés, comme le moment d’un embranchement phylogénétique : il forme un nœud structurant mais inaperçu dans les histoires que l’on retrace, dans l’après-coup et jusqu’à aujourd’hui, de ces différentes traditions critiques.