Les limites de l'interprétation à la lumière de l'analogie
Résumé
Selon une habitude d'origine aristotélicienne relayée par la tradition herméneutique, la notion d'interprétation est pensée comme impliquée par la notion de signification. Recevoir un signe ou un énoncé, être en mesure de lui assigner un sens ou une signification, c'est l'interpréter. La production énonciative elle-même est déjà une interprétation : « Est interprétation tout son émis par la voix et doté de signification-toute phônè semantikè, toute vox significativa […] Dire quelque chose de quelque chose c'est, au sens complet et fort du mot, interpréter. » (Ricoeur, 1965 : 31). Puisque seule la vox non significativa échappe à la possibilité d'une interprétation, la condition de l'interprétation est héritée de la condition de la signification. Dans cette conception maximaliste de l'interprétation, il n'existe qu'un seul mode de la compréhension linguistique : on comprend lorsqu'on a su interpréter. Bien ou mal, peu importe. Le point que l'on veut souligner ici est que la compréhension apparaît comme le résultat de l'interprétation (ou comme sa finalité) et que celle-ci est présupposée dès qu'un sens ou une signification est assignable à une production verbale. Cette conception maximaliste de l'interprétation présente toutefois l'inconvénient majeur d'empêcher la thématisation du cas très ordinaire de la compréhension sans interprétation. Que tout discours et toute réalité extralinguistique soient interprétables n'entraîne pas qu'ils soient nécessairement interprétés : Il arrive naturellement que j'interprète des signes, que je donne une interprétation à des signes ; mais tout de même pas à chaque fois que je comprends un signe ! (si on me demande « quelle heure est-il ? », aucun travail d'interprétation n'a lieu en moi ; je réagis, au contraire, simplement à ce que je vois et entends. Quelqu'un lève le couteau sur moi, je ne dis pas à ce moment-là : « j'interprète cela comme une menace » (Wittgenstein, 1976 [1969] : 47. Cité par Bouveresse 1981 : 126) Certes, il est possible d'interpréter une interrogation aussi banale que « quelle heure est-il ? » comme un signe d'impatience ou de fébrilité, mais ces hypothèses sur les raisons d'un tel énoncé gagnent-elles à être entendues comme des interprétations ? Il est assez évident que, si elle en est une, cette interprétation demeure d'une nature très différente de celle qu'on produira dans le cas de la lecture d'un poème de Mallarmé par exemple. Et cette intuition d'une différence entre ces deux situations est bien entendu fondée sur le fait que l'énoncé « quelle heure est-il ? » ne présente aucune difficulté particulière au plan sémantique et que, s'il doit être interprété, l'interprétation interviendra uniquement sur un plan pragmatique (largement routinisé d'ailleurs, dans ce cas) ; tandis qu'un texte de Mallarmé présentera inévitablement des difficultés dès le niveau sémantique, en raison notamment de phénomènes de polysémie et de non-compositionnalité. Faut-il donc qu'un seul et même terme, interprétation, s'applique à la fois à « quelle heure est-il ? » et « À la nue accablante tu », au motif qu'il s'agit dans les deux cas de signes qui sont interprétés ? Il semble assez évident que le concept d'interprétation perdra alors en intérêt ce qu'il aura gagné en extension. L'idée défendue ici sera donc qu'un concept opératoire d'interprétation requiert une limitation à certaines configurations sémantiques ou pragmatiques, qu'il convient par conséquent d'en restreindre l'usage aux seuls cas où la compréhension d'un énoncé est entravée ou problématique. En d'autres termes, on argumentera en faveur d'une distinction entre deux types
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Linguistique
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