« Une ponctuation de l’entre-deux : les parenthèses dans Naissance des fantômes », pp. 87-104.
Résumé
Une ponctuation de l'entre-deux : la parenthèse Les parenthèses dans Naissance des fantômes : « Quand j'écris un roman », déclare Marie Darrieussecq à Nelly Kaprièlian, « c'est d'abord une harmonie, un rythme et des sonorités, et des imagessi ce n'est pas de la poésie, je ne sais pas ce que c'est. Et il se trouve que, parfois, il y a une histoire ; ou pas. [Chacun de mes trois premiers romans] correspondait à une seule idée que je développais et que j'explorais sous plusieurs facettes […] Dans Naissance des fantômes, le mari de la narratrice a disparu et elle l'attend, c'est ça l'histoire, c'est tout bête […] » 1. Pareille déclaration ne saurait surprendre chez une romancière qui conçoit ses histoires comme des lignes mélodiques avec de multiples variations et qui, soucieuse de rythme avant tout, visuel comme sonore, apporte un soin tout particulier à sa ponctuation dont elle use de manière jalouse et concertée. En témoigne cette anecdote rapportée par l'auteure au sujet des parenthèses, entendues au sens graphique, de Naissance des fantômes précisément : « [Mon éditeur] voulait par exemple remplacer les très nombreuses parenthèses par des points ; il me disait que les parenthèses compliquaient sans rien ajouter. Il lisait à voix haute et me faisait entendre que points ou parenthèses, c'était pareil ; je lui prenais le manuscrit des mains, lisais à voix haute et lui faisais entendre que ce n'était pas exactement pareil. Ma narratrice se perd dans les parenthèses, elle ne se perdrait pas de la même façon dans des points. On a vraiment discuté de cette question, j'ai tenu bon, et il m'a dit beaucoup plus tard qu'il était d'accord avec moi » 2. Ailleurs, Marie Darrieussecq rapporte la même anecdote avec une variante : « Pour Naissance des fantômes, [Paul Otchakovsky-Laurens] me demandait pourquoi je ne remplaçais pas les parenthèses par des virgules. Il lisait alors le texte à haute voix et me disait que la sonorité n'était pas la même et que les parenthèses le gênaient » 3. Pour l'éditeur, « ce n'est pas tant la quantité des parenthèses qui pose problème » 4 malgré leur concentration notable (132 parenthèses au total, soit 5 parenthèses toutes les 6 pages) que l'emploi mal approprié des bornes parenthétiques là où, selon lui, feraient aussi bien l'affaire, sinon mieux, le point, moins voyant, ou la virgule, visuellement plus discrète et dont « la rythmique », pour parler comme Marie Darrieussecq, « est un tantinet moins longue que celle de la parenthèse » 5. Mais si l'auteure ne l'entend pas ainsi, ce n'est pas pour de pures raisons prosodiques, la mélodie parenthétique étant indissociable du sens et ne faisant pas le tout des parenthèses dont le travail s'inscrit avant tout dans la sphère de l'énonciation écrite. De fait, la manière parenthétique de la romancière est indissociable d'un récit monologique où la narratrice, « qui écrit dans sa tête », « se perd dans les parenthèses » 6 , désoeuvrée, désemparée par la disparition de son mari, doutant constamment des limites de sa
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