Imposture et ontologie de la fiction réaliste : une lecture science-fictionnelle de Celle que vous croyez (Camille Laurens)
Abstract
Au continuum des littératures documentaires étudiées par Laurent Demanze ou Dominique Viart correspond un pendant fictionnel, pseudo-documentaire, donnant lieu à des objets d’interprétation difficile, comme Celle que vous croyez (2016) de Camille Laurens, récit dans lequel la posture de l’autrice consiste à imposer une sorte de concaténation de réajustements référentiels, où l’autofiction devient pure fiction et où le statut du document se trouve mis en cause : le mensonge se mue en moteur de l’intérêt et de l’action, en s’exhibant et en mettant le lecteur au défi de construire un monde possible où les contradictions de la/des narratrices prendraient sens. Cert article examine la dynamique de l’imposture dans ce roman, en prenant appui sur des catégories importées depuis l’étude de la science-fiction. Emprunter les notions d’artefacts fictionnels (R. Saint-Gelais) et de novum (D. Suvin) permet de décaler la perspective sur ce que construit Camille Laurens : une structure labyrinthique, où le sentiment de vertige ontologique n’aboutit pas à une perte de repères, bien au contraire, puisqu’il nous fait ressentir une réalité banale et pourtant presque insaisissable, cette transparence qui anéantit l’identité des femmes passé un certain âge. À cette transparence, l’autrice oppose une autre forme de validation que le regard masculin, dans les échanges intradiégétiques entre différents personnages féminins, mais aussi du fait du dispositif textuel lui-même. En attirant l’attention sur les conditions de possibilité de l’écriture et de la production de ses artefacts fictionnels, le grand trompe-l’œil du roman de Camille Laurens incite à confronter ses composants pseudo-documentaires entre eux, pour en extraire la figure composite d’une femme invisible, mais lisible, dont l’imposture est la vérité même.