Dans El común olvido, la tante du narrateur, Ana, est atteinte de la maladie d'Alzheimer et le narrateur disperse ses cendres dans le Río de la Plata. Dans Desarticulaciones, qui sera plus particulièrement l'objet de cet article, la maladie d'Alzheimer ne constitue pas le matériau d'une intrigue parallèle mais est l'objet même du livre : l'auteure-narratrice rend visite à l'une de ses amies atteinte de cette maladie et rend compte de ses visites. Comme elle l'écrit : « no escribo para remendar huecos y hacerle creer a alguien (a mí misma) que aquí no ha pasado nada sino para atestiguar incoherencias, hiatos, silencios. Esa es mi continuidad, la del escriba » (Desarticulaciones, Eterna Cadencia, 2011, p. 38). De ce fait, et à partir de cette citation pour nous programmatique, on s'interrogera sur les liens entre folie et langage, entre Alzheimer et, plus particulièrement, écriture et littérature. A bien des égards, on verra de quelle manière l'instance d'énonciation dans le texte dépasse le simple récit de vie pour créer une relation à part, non seulement avec son amie malade, mais aussi avec le lecteur, à partir du pur présent du langage, mais aussi par un réseau intertextuel qui fait de ce texte non pas une simple autobiographie mais une autofiction. Ecrire Alzheimer, pour Molloy, c'est non seulement rendre compte d'une forme de folie (ou de dérèglement psychique), mais aussi et surtout entraîner le lecteur dans un réseau de sens qui dépasse le témoignage, par le biais notamment de l'utilisation des références littéraires présentes dans le texte. S'il existe une forme de dépassement de la folie, c'est non seulement à partir de l'écriture des silences ou des hiatus mais aussi grâce à une forme de légèreté permise par le jeu des références littéraires, comme Borges ou Rulfo. Face à la perte des souvenirs, « seule l'esthétisation du verbe peut transcender l'impasse référentielle et justifier l'entreprise autobiographique » (Philippe. Gasparini, Autofiction. Une aventure du langage, Paris, Seuil, 2008, p. 49).